Il est temps de faire le point sur les coefficients à appliquer dans la formule fondamentale du calcul de la force aérodynamique.
Pour découvrir les ordres de grandeur, on peut jeter un oeil sur l'article Drag coefficient de Wikipedia, plus complet que la version française.
Pour la coque, Larsson & Eliasson (page 166, 2ème ed.) suggèrent 0,5 (sans référence), et Alain Fraysse 0,7 (coque et roof) (sans référence). (1)
Nous avons écumé la Toile, et découvert, après bien des fausses pistes, le travail assez récent de Hansen, Jackson & Hochkirch Comparison of wind tunnel and full-scale aerodynamic sail force measurements (2002). Parmi beaucoup d'autes choses, ils livrent tout d'abord des coefficients de fardage (drag coefficients Cdp) pour la coque et le gréement d'une maquette (sans voile) au 6,6ème (15%) d'un bateau d'essai modelé sur un Dehler de 33 pieds, et ceci à tous les angles de vent β, entre 0° et 180°. Ces valeurs, reproduites ci-dessous, ont été obtenues en soufflerie. On peut voir des illustrations du bateau et de la maquette dans l'article. Pour passer de ces coefficients Cdp aux coefficients classiques C, il faut les multiplier par la surface des voiles (56 m2) du bateau réel et comprendre qu'ils incluent la surface frontale, mais pas le facteur 1/2 ρ (Ah, ces ingénieurs...!). Donc, pour un vent de face de 15 kn (angle de vent = 0°), le Cdp global (coque + gréement) mesuré de 0,035 donne une force aérodynamique de.... 7,1 kg, ce qui est évidemment incorrect, beaucoup trop faible, comme le souligne la discussion des auteurs. D'après eux, les raisons sont doubles: la difficulté de recréer et de mesurer en soufflerie le gradient de vent réel (pour autant d'ailleurs, j'ajoute, qu'on le connaisse, voir un billet précédent) et l'influence de la viscosité, donc de la turbulence, de l'air (nombre de Reynolds) qui ne peut pas être identique sur une petite maquette en soufflerie et en taille réelle dans la nature.


Si même avec de gros moyens techniques, il est impossible de mesurer ces satanés coefficients, est-ce la fin de nos espoirs ? Heureusement non. Dans ce même travail, les auteurs rapportent que dans le cadre de la création d'un PPV (Programme de Prédiction des Vitesses, VPP (Velocity Prediction Program) en anglais), ils approximent la force parasitique de traînée aérodynamique de la coque à l'aide d'un coefficient C de 0,764, estimé à partir de mesures sur le bateau réel. C'est, a ma connaissance, la seule valeur expérimentale publiée, bien que les détails du calcul effectué manquent. Elle est d'ailleurs reprise en 2008 par une autre équipe dans l'élaboration d'un PPV pour les skûtsjes, bateaux traditionnels de la Frise hollandaise. Nous l'utiliserons donc, en remarquant qu'elle est voisine de celle proposée par Alain Fraysse.

Pour le gréement dormant, Larsson et Eliasson, comme A. Fraysse, proposent 1,2, la valeur classique pour un fil ou cylindre très long et très étroit, ce qui semble raisonnable.
Pour le mât (et les espars en général), Larsson & Eliasson proposent 1,0, en argumentant que les aspérités du mât diminuent la résistance en stimulant la turbulence. A. Fraysse utilise 1,5 pour les 'appendices', et Harken & al. 0,8, en renvoyant à une publication de A. Claughton sur le dévelopement du PPV de l'IMS (Developments in the IMS VPP Formulations. 14th Chesapeake Sailing Yacht Symposium. 1999. Annapolis: SNAME). Il est à noter que, pour la résistance latérale, Claughton proposait 1,13. Nous retiendrons la valeur de 1,0, en nous souvenant que cette valeur est bien imprécise, et peut-être sous-évaluée. On peut d'ailleurs noter que le PPV de Harken & al. prévoit un Cdp global de 0,5, ce qui correspond à une force de 10,1 kg à 15 N pour un 33 pieds, ce qui paraît bien faible. La sous-estimation de la traînée du mât (et peut être, ceci n'est pas clair, du gréement dormant) pourrait en être la cause.

Est-ce fini ? (Malheureusement) non: Il faut encore étudier, pour mieux coller à la réalité, le cas où le voilier qui n'est pas exactement vent debout. En effet, le vent n'est jamais parfaitement constant en direction, et surtout, tout plaisancier sait qu'un voilier au mouillage évite en permanence autour de son ancre, comme un essuie-glace...

A suivre...

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(1) Paulet & Presles (page. 318, 1ère ed.) ne donnent que des coefficients pour le bateau sous voile, par exemple 0,8 par vent de travers (surface totale du voilier, voiles comprises), avec référence à une thèse non publiée de Pierre Vaussy, 1967. Ces valeurs sont intéressantes, mais sans objet pour nous.