...La bourrasque, je m'exprime ainsi, nos officiers ne me permettant pas d'appeler si peu de chose une tempête, la bourrasque dura jusqu'au lendemain matin, qui parut nous annoncer un temps moins rude, un plus beau jour: nous ne savions pas au juste où nous étions; le ciel s'étant éclairci, il nous fut aisé de voir les sept îles, gros rochers fortifiés qui saillent dans la mer à trois et quatre lieues de Lannion. Nous étions déjà disposés à relâcher dans quelque port de la côte, car tout nous donnait lieu de croire ; au moins pour quelques jours, à la continuation des vents contraires. Nous jetâmes l'ancre dans la rade de Perros, qui n'est qu'à deux petites lieues de Lannion... La brise n'étant pas assez décidée, nous eûmes deux jours de répit après nous être embarqués; mais il fallait rester à bord ou ne pas s'éloigner du navire... le vent étant devenu favorable pendant la nuit, l'ancre fut levée de grand matin : le soir nous ne voyions plus que la mer et les cieux...
...permettez-moi de vous ramener sur les côtes de Bretagne, de vous conduire sur Thomé, l'une des sept îles dont je vous ai parlé[1]: celle-ci n'est qu'à une demi-lieue de Perros; c'est un rocher en forme d'arête d'environ mille toises de longueur sur deux et trois cents de largeur.
Nous y fîmes une promenade la veille de notre départ; on nous avait dît que l'île n'était habitée que par des lapins. Sur le côté qui regarde le levant sont deux champs cultivés; une petite prairie fournit du foin; quelques vaches, un assez grand nombre de moutons, paissent une herbe fine parmi les fougères, dont le reste de l'île est couvert; une cabane en ruines[2] est abritée par un rocher d'où découle un filet d'eau suffisant, pour les besoins de cette colonie; il peut se trouver encore un coin de bonne terre qui sera défriché pour en faire un jardin...Cette chaumière, ces champs, cette prairie, ces troupeaux, l'île entière enfin, sont le domaine d'un cultivateur assez jeune, robuste et passablement basané: il habite provisoirement sous les décombres de la cabane qu'il relèvera lui-même au printemps proçhain. II nous reçut cordialement, nous offrant avec plaisir du laitage et des oeufs frais. Nous lui demandâmes s'il vivait heureux sur ce rocher, dans cette solitude, car, pendant la mauvaise saison, la communication avec la terre peut être long-temps difficile. Il nous répondit qu'il s'était d'abord ennuyé, mais, qu'il ne s'ennuyait plus depuis qu'il était marié. Nous ne vîmes point sa femme, qui par extraordinaire, s'était embarquée le:matin pour faire quelques emplettes à la ville et vendre ses oeufs au marché. Le propriétaire [3] de Thomé nous apprit que les produits de sa pêche et les revenus de son île excédaient ses besoins; qu'il avait coutume de vendre ses moutons aux capitaines des navires qui relâchent à Perros, et d'en recevoir en échange sa provision de biscuit pour l'hiver: rien ne manque à son bonheur, si ce n'est un enfant dont il nous a confié que la venue serait prochaine...

Paul et Virginie bretons...Le ton de ces lignes rappelle en effet celui de Bernardin de Saint-Pierre...

On sait que l'île Tomé était habitée en 1790. Cette année là, Yves Le Calvez, un laboureur de Lanvellec, y est arrêté par les employés des Fermes le 10 avril. Il a été dénoncé pour avoir mortellement blessé un enfant avec sa faucille, peut-être par inadvertance. Au moment de son arrestation, il travaillait dans la métairie de l'île, en attendant de fuir vers l'Angleterre. [4]

Notes

[1] L'île Tomé ne fait pas partie des Sept Îles.

[2] C'est peut-être la masure portée sur le plan cadastral de 1805.

[3] fermier, plus vraisemblablement.

[4] Episode relaté dans le thèse d' Emmanuelle Charpentier, ''Le littoral et les hommes: espaces et sociétés des côtes nord de la Bretagne au XVIIIe siècle'', 2009 p. 205.