Au VIe siècle, la présence de Saxons installés de manière permanente en Normandie est certaine: Grégoire de Tours mentionne en effet des Saxones Bajocassini (Saxons de la région du Bessin, autour de Bayeux).[1] En 843 et 846 encore, deux préceptes de Charles le Chauve mentionnent un 'pays' (pagus) appelé Otlinga Saxonia dans le Bessin. [2]
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Mais depuis combien de temps sont-ils là ?
- La liste romaine des responsabilités administratives et militaires (Noticia Dignitatum) du début du Ve siècle mentionne des troupes à Grannona [3] dans une région appelée Litus Saxonicum, le 'rivage saxon' [4]
- En 453, des Saxons participent comme contingent allié à la victoire des troupes wisigotho-romaines d'Aetius contre Attila [5], preuve d'une certaine intégration diplomatique dans la Gaule 'romaine'. [6]
- Une partie du mobilier de type anglo-saxon de fouilles archéologiques anciennes et récentes dans le Calvados [7] est datée stylistiquement de la fin du Ve ou du début du VIe. [8]

En ce qui concerne les Saxons de la vallée de la Loire, l'épisode suivant (aussi connu que confus) est relaté par Grégoire de Tours: [9]
En 463, le 'Romain' Aegidius [10] et le Franc Childéric [11] battent à Orléans les Wisigoths. [12] Aegidius meurt en 464 et deux chefs émergent: Syagrius, son fils et le comte Paul. Les Wisigoths, à nouveau menaçants, progressent vers la Loire. Le comte Paul réussit (fin 464 ?) à les contenir. Mais des Saxons, sous le commandement d'Eadwacer [13], remontant la Loire, sont parvenus à Angers, dont ils s'emparent en prenant des otages. Childéric accourt le lendemain. Les Saxons sont vaincus et chassés, et la basilique (?) incendiée. Le comte Paul disparaît, sans doute tué par Childéric, qui craint un renversement d'alliance. [14] Pourtant des Romains et des Francs ravagent encore ensemble (465 ?) les repaires saxons sur des îles, sans doute celles de la Basse Loire.
Néanmoins, des Saxons se sont installés durablement sur la Loire. Un siècle après, à la fin du VIe, Fortunat, évêque de Poitiers félicite l'évêque Felix de Nantes d'avoir commencé à les christianiser. [15]


En Bretagne, outre Sauzon, des toponymes comme Cesson [16] ou Trécesson [17] contiennent le nom Saoz 'saxon' au pluriel. Mais comment être sûr que ce terme ne désigne pas en fait les Vikings? [18]

Plus au sud, en Saintonge, vers 470, la menace maritime saxonne est bien attestée par une lettre (Epist. VIII.6) de Sidoine Apollinaire à Nammatius. [19] Sa description des exactions saxonnes préfigure les textes sur celles des Vikings.[20]
En Charente enfin, le cimetière germanique d'Herpes contient quelques objects indubitablement saxons[21]

Il faut enfin rappeler que le début de l'invasion saxonne de la (Grande-)Bretagne est daté traditionnellement du milieu du Ve siècle.

Les Saxons sont donc particulièrement actifs dans la seconde moitié du Ve siècle. L'installation avérée de Saxons en Normandie, mais surtout dans la vallée de la Loire, me semble rendre plausible leur installation à cette époque sur Belle-Île, qui est sur la route maritime côtière menant vers l'entrée de la Loire en venant du nord.[22]

A suivre...


La barque de Nydam in J. Jensen, The prehistory of Denmark, Taylor & Francis, 2003, p. 251.
Cependant Sidoine Apollinaire (430-486) (Panégyrique pour Avitus, MGH, Auct. Antiq. VIII, pp. 132-133.) écrit ...les rivages de l' Armorique s'attendaient à recevoir le pirate saxon pour qui c'était un jeu de sillonner la mer bretonne sur une peau et de fendre la mer glauque d'une barque de cuir cousu (d'après J.C. Cassard Les navigations bretonnes aux temps carolingiens, Actes du 17e congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, Nantes, 1986, pp. 19-36)
S'agissait-il de Saxons installés en Bretagne et ayant construit sur place des embarcations d'un type voisin de celui des 'curraghs' irlandais? Ces embarcations étaient peut-être plus aptes à remonter le cours des rivières et à échouer.


Le 'squelette' d'un curragh de Kilkee (Co. Clare, Irande), d'après J. Hornell, 'The Curraghs of Ireland, Part III, Mariner's Mirror, Vol. XXIV, No. 1, (Jan. 1938), p. 27.

Notes

[1] Employés en 578 par Chilpéric contre les troupes du Breton Waroch, et par la reine Frédégonde pour aider ces mêmes Bretons contre les Francs du roi Gontran en 590.

[2] Si la signification d'Otlinga Saxonia est disputée (Saxe de la gens d'Othild ?), Saxonia est sans équivoque.

[3] Localisation inconnue, peut-être en Normandie.

[4] Cette locution a fait couler beaucoup d'encre. Interprétée le plus souvent comme 'le rivage menacé par les Saxons', je préfère l'interprétation 'rivage occupé par les Saxons'. Le généralissime Stilicho aurait négocié au tout début du Ve siècle l'installation de certains groupes saxons (et / ou frisons) sur la côte sud-est de l'Angleterre et des secteurs des côtes de la Gaule afin de participer à la défense des ces territoires romains contre les attaques maritimes de groupes germaniques, dont d'autres groupes de Saxons. Pour P. Perin et L-C Feffer (Les Francs, Colin, 1997, p. 96), ils auraient remplacé les troupes frontalières (limitanei) ayant participé à l'usurpation de Constantin III (donc après 411). Mais passer en revue les arguments nécessiterait un livre entier...

[5] Bataille dite des 'Champs Catalauniques' (vers Troyes?) contre les troupes hunniques et alliées.

[6] Ces Saxons peuvent être venus de Normandie, ou de la région du Pas-de-Calais, où l'on connaît une concentration de toponymes 'saxons'.

[7] Bénouville, Hérouvilette, Frénouville...

[8] Voir par exemple G. Verron & C. Pilet Un nouveau témoin de la présence anglo-saxonne en basse-Normandie..., Archéologie Mediévale, C.R.A.S, 1977 pp. 83-93. Voir aussi une carte sur ce bon site Web.

[9] Selon Fleuriot (Les origines de la Bretagne, Payot, 1980/1999 pp. 167-8), la chronologie de Grégoire n'est pas fiable, et il propose la version résumée ci-dessus.

[10] Qui préside de manière indépendante de Rome aux destinées du nord de la Gaule encore romaine.

[11] Père de Clovis, venu de son 'royaume' de Tournai.

[12] Qui tentent sans cesse depuis 418 d'étendre vers le nord leur royaume d'Aquitaine.

[13] Les manuscripts portent le nom d'Odoacre (Odovacar). Fleuriot suggère (à juste titre me semble-t-il) qu'un scribe a remplacé le nom d'un chef saxon obscur par celui, bien plus célèbre, du général qui déposera le dernier empereur de Rome en 476.

[14] Une alliance des Romains et des Wisigoths chrétiens contre les Francs païens. C'est, selon Fleuriot, le début d'un long conflit entre les Romains (et leurs alliés Bretons) et les Francs.

[15] ...La nation féroce des Saxons vivait comme une bête sauvage.... Un passage du De Gloria Martyrum de Grégoire de Tours a été interprété comme relatant un siège de Nantes à l'époque de Clovis par des Saxons ayant à leur tête un certain Chillon, et non par des Francs, pour la raison que Grégoire n'aurait pas décrit comme une action miraculeuse l'échec des Francs, ses commanditaires (cette hypothèse n'est pas nouvelle, étant déjà dans l'Histoire civile, politique et religieuse de la ville et du comté de Nantes de l'abbé Travers en 1836, ch. XIV p. 57).

[16] Près de Rennes (Saxon dans un acte de 1153).

[17] La 'trève (subdivision d'une paroisse) des Saxons' à Campénéac (Morbihan).

[18] Ailleurs en Bretagne, il sert aussi à désigner les Anglais, comme l'île Ti Saoson ('la cabane des Anglais') à l'est de l'île de Batz, au nord de Roscoff, quand il ne veut pas dire 'bègue' ou 'bredouilleur'; je n'ose écrire 'baraguiner' dans ce contexte !

[19] En charge de la flotte wisigothique du roi Euric qui protégeait l'entrée de la Gironde depuis sa base d'Oléron (cf. par ex. M. Reddé (''La navigation au large des côtes atlantiques de la Gaule à l'époque romaine'', Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité t. 91 (1), 1979. pp. 481-489).

[20] ...avant de mettre à la voile pour la patrie, de quitter le continent et de lever l'ancre d'un rivage ennemi, ils ont coutume, au moment du départ, de faire mourir en des supplices égaux et horribles la dixième partie de leurs captifs. La vie de saint Vivien (Vita Bibiani) mentionne qu'à cette même époque le saint homme aurait conduit la résistance de Saintes face aux pirates saxons.

[21] Même article (mais quelques photographies manquent) ici. Certains objets de Style I ainsi qu'une Quoit brooch (du Kent ?) sont datables de la fin du Ve. Mais la raison de leur présence n'est pas claire: bijoux personnels d'épouses saxonnes exogènes, acquisitions 'commerciales'?

[22] A. Longnon, grand étymologiste du XIXe, que nous citons par exemple à propos de (port) Coton, voyait dans le suffixe (terminaison) -ic de Croisic et de Pornic (du latin -iacu(m) qui donne l'ubiquiste -iac en Bretagne) un indice d'une présence saxonne, ceci en raison de la fréquence de cette forme sur les bords du Rhin. Je noterai seulement qu'en Flandre, -ik n'est qu'une variante parmi d'autres (ak(en), -ek(e), -ijk), ce qui affaiblit l'argumentation.